Comment sécuriser un budget, une équipe et le feu vert des dirigeants ?
Cet article examine les défis que doivent surmonter beaucoup de professionnels qui utilisent les données du web social. Il examine également certaines méthodes utilisées par des professionnels que nous avons intérrogé pour gagner en crédibilité et obtenir le soutien de leur direction.
Si vous travaillez avec les social data, vous avez probablement déjà été confronté à la frustration de faire face à des personnes qui ne comprennent pas de quoi il s’agit.
Il existe encore un certain stigma social et professionnel autour des médias sociaux. C’est une discipline qui n’a pas encore réussi à se libérer d’une image un peu… futile.
Qu’il s’agisse d’expliquer votre rôle à vos proches ou à des confrères, si vous évoluez dans le milieu des média sociaux vous êtes surement las de devoir justifier les mérites de vos projets. Dans de nombreuses entreprises, les activités social media font encore face à une constante bataille pour justifier leur utilité et obtenir des ressources.
Tout ne va pourtant pas si mal.
Beaucoup de chemin a été parcouru depuis l’époque où les community manager travaillaient « dans leur coin » et « passaient leur journée sur Facebook ». Dorénavant, les professionnels qui utilisent les social data travaillent avec des budgets et des équipes plus larges. Le secteur devient de plus en plus sophistiqué et utile pour les opérations d’une entreprise.
Mais la route peut encore paraître encore semée d’embûches pour beaucoup.
La personne responsable des social data dans l’entreprise peut être, selon les circonstances et le type de l’organisation, n’importe qui entre le Social Media Manager et le Directeur Marketing. Ils doivent tous faire face à un défi commun : prouver la valeur de leurs programmes. La difficulté réside dans le fait de devoir atteindre une crédibilité en interne, d’obtenir la reconnaissance des succès obtenus grâce aux social data et de sécuriser des ressources pour les futures initiatives.
Prouver le ROI
Le besoin de démontrer un retour sur investissement (ROI) est au cœur du sujet. La capacité à prouver le ROI est la clé pour surmonter le défi de la justification, surtout maintenant que la part de budget du digital et des médias sociaux gagne du terrain sur celui des médias traditionnels.
Il existe une grande variété de données qui peuvent démontrer la valeur des activités menées sur les médias sociaux. Il s’agit d’une poignée d’études de cas, mais Coca Cola et Unilever ont publiquement déclaré avoir observé un lien direct entre leur activité social media et leurs ventes.
La difficulté réside dans le fait que ces études de cas n’ont aucun poids face à un dirigeant en désaccord avec le principe. Les équipes dirigeantes ne sont généralement pas intéressées par ce genre de généralisations, et les responsables social media ont peu de chances de réaliser leurs objectifs en suivant cette voie.
Alors, quoi faire ?
Ils sont nombreux à utiliser les social data pour démontrer la valeur d’autres programmes et à les appliquer à l’ensemble de leur organisation. Mesurer les performances d’une campagne télévisée ou du lancement d’un produit par exemple, est un bon moyen d’associer les social data à quelque chose de plus concret et global que le marketing social media. Cela permet également de montrer que les social data sont fondamentalement utiles et précieuses pour l’entreprise, au delà du succès d’une campagne en ligne.
Quel que soit votre objectif et la stratégie spécifique utilisée pour convaincre votre direction de l’importance de vos initiatives social media, il existe un certain nombre de techniques pour la convertir.
Les 3 conseils suivant constituent un modèle à suivre pour obtenir l’attention des personnes qui comptent.
1. Définir
Pour tout projet impliquant les social data, il est essentiel de définir les livrables aussi tôt que possible. Très souvent, les tensions entre la direction et les équipes social media résultent de la disparité entre les attentes et les livrables.
Prenez les devants dès le début. Clarifiez le plus possible les termes et les résultats désirés. Assurez-vous qu’ils soient documentés et approuvés par les différentes parties prenantes. Ils pourront servir de référence si d’autres décisions et réflexions sont envisagées dans le futur.
« Demandez-vous : quelles sont les attentes de la direction ? Est-ce que ses attentes pour cet investissement sont les mêmes que les vôtres ? Ne faites rien tant que vous n’avez pas passé assez de temps à vous assurer que ces attentes sont en phase. »
TIM GRIMES, ANALYSTE SOCIAL MEDIA – THE ECONOMIST
Une part vitale du processus implique d’écouter et de s’assurer que les objectifs du responsable social media correspondent à ceux de l’entreprise. Lors de la définition des objectifs d’une initiative particulière, les leaders social media les plus avancés passent du temps à comprendre ce que l’équipe dirigeante veut vraiment. C’est une information essentielle lors de la planification d’un programme réussi.
« L’écoute permettra d’informer le processus et de fournir une justification au “pourquoi” : pourquoi il faut développer l’analytique, pourquoi il faut de l’engagement, pourquoi l’équipe social media doit être impliquée. »
TRACY BELL, ENTERPRISE MEDIA MONITORING EXECUTIVE – BANK OF AMERICA
Comme dans toutes les autres disciplines au sein d’une organisation, une des difficultés que le secteur rencontre réside dans le fait que l’analytique des social data n’est pas une science exacte.
Les médias sociaux ont des limites et il est vital de savoir reconnaître ce qui ne fonctionnera pas.Les « dark data » et les effets offline invisibles des médias sociaux n’apparaîtront jamais dans les comptes-rendus. Pourtant, les équipes d’analytique sont souvent obligées de défendre l’intégrité de leurs données. La réponse, dans ce cas là, est de confronter ces faiblesses et ces « angles morts », et de les présenter comme des limites à la direction avant le lancement du projet et de se mettre d’accord sur les objectifs.
« Vous pouvez utiliser toutes les données que vous trouvez, mais vous devrez quand même vous en méfier et utiliser votre propre intelligence et votre jugement. »
ALVIN TOFFLER, AUTEUR AMÉRICAIN ET EXPERT DE LA TRANSFORMATION DIGITALE
Vous devrez rester dans le même état d’esprit pendant l’élaboration des programmes et tout au long de leur exécution. Reconnaissez les échecs et acceptez les erreurs qui surviennent. Alors que les agences peuvent éprouver le besoin de défendre le succès de leurs campagnes, et chercheront à présenter les données sous l’angle le plus positif possible, quelqu’un qui travaille directement pour une marque sera dans une position lui permettant d’évaluer chaque pan de travail de façon plus honnête.
Encore une fois, révéler chaque déception lorsqu’elle survient vous permettra de créer des bases beaucoup plus solides lorsque le moment viendra de souligner la valeur de votre travail.
2. Prouver
Très vite après avoir établi l’objectif d’un projet ou d’un investissement, vous devrez présenter des preuves. Prouver que le projet était une bonne idée. Prouver les résultats.
Cintas est probablement la plus grande entreprise méconnue. Avec plus de 30 000 employés, c’est l’entreprise qui se cache derrière les uniformes instantanément reconnaissables comme ceux de Starbucks ou UPS. Troy Pfeffer a crée le service de veille de l’entreprise il y a 8 ans. C’est alors qu’il s’est aperçu qu’obtenir l’aval de la direction était son plus grand obstacle pour faire de ce programme un succès.
« Établir un nouveau programme, sans aucun précédent vous place immédiatement dans un territoire à risques. Gagner la confiance de l’équipe dirigeante était essentiel à mon succès. »
TROY PFEFFER, DIRECTEUR DE LA VEILLE CONCURRENTIELLE – CINTAS
En général, la pression pour faire ses preuves se ressent dès la signature du projet. Troy est convaincu que c’est le moment le plus crucial dans un projet impliquant un nouveau budget ou de nouvelles ressources : « On vous regardera à la loupe jusqu’à que vous soyez capable de montrer la valeur de ce que vous faites. Votre priorité doit être d’obtenir une valeur ajoutée aussi tôt que possible, sans vous laisser distraire par l’idée d’obtenir de gros profits dans plusieurs années ».
Bien entendu, la prise de décisions à long-terme ne doit pas non plus être négligée, mais communiquer des résultats dès le début du projet vous apportera de réels avantages.
Quelque soit le projet, l’appréhension initiale peut rapidement se dissiper avec des résultats apportant une valeur tangible.
Cherchez d’abord les résultats que vous pouvez obtenir à court terme et atteignez d’abord ces objectifs en vous concentrant sur les éléments dont la valeur est la plus facile à démontrer. Avec les social data, la clé est de se distinguer des indicateurs de bases tels que le nombre de followers et de mentions, et de vous orienter vers le langage business commun : ventes, rétention ou Net Promoter Score (NPS).
Le cloisonnement peut être une stratégie efficace. Plutôt que d’essayer de justifier l’opération dans sa globalité, isoler le ROI de chaque projet, ou même de chaque recrue, peut faciliter la communication de la VA aux dirigeants.
Cette théorie est confirmée par le VP of Analytics d’une marque populaire de télé-achat américaine qui dit avoir isolé les bénéfices spécifiques associés à chaque nouvelle recrue, non pas en terme de contribution, mais de résultats.
S’exprimant sur le thème des arguments en faveur du recrutement de nouveaux effectifs, elle a révélé qu’elle était en mesure de recruter une personne à la fois pour son équipe – avec une augmentation mesurable des profits pour chaque nouvelle personne supplémentaire.
« Nous considérions le recrutement potentiel de deux nouvelles personnes. Je savais qu’elles feraient une différence, mais il fallait que je le démontre à la direction. Finalement, j’ai fait une liste de toutes les façons dont ces personnes impacteraient la performance de l’équipe, pas seulement en terme de volume de travail supplémentaire, mais de résultats pour le département tout entier. Je me suis engagée à fournir ces résultats. Cela a suffi à conclure le sujet. »
VP ANALYTICS – TOP 20 DES RETAILERS NORD-AMÉRICAINS
On peut aller plus loin avec ce concept de cloisonnement. Les programmes d’innovations et, plus spécifiquement les pilotes sont les moyens les plus efficaces d’obtenir des ressources supplémentaires dans le domaine social media. En tant que discipline récente et disruptive en général, le social media se prête bien aux projets pilotes à petite échelle visant à explorer la valeur des nouvelles idées.
La dirigeants senior les apprécient car ils sont rentables et peuvent être facilement suspendus à moindre coût si besoin, ce qui rassure les patrons les moins confortables avec ce qui peut ressembler à un investissement risqué. Essayez de voir le manque de soutien porté à un projet comme une opportunité de faire des essais et d’expérimenter. Puis, lorsque les projets réussissent, il devient alors plus facile de former des arguments pour les développer de manière plus sérieuse et/ou officielle à l’aide des données récoltées et de l’expérience acquise.
Lors de notre entretien avec Tracy Bell, Enterprise Media Monitoring Executive chez Bank of America, elle a révélé que dans les phases initiales du développement d’un programme de social media intelligence, les social data manager doivent cibler les avant-gardistes qui seront réceptifs aux insights obtenus grâce aux données du web social. Comme elle le dit elle-même, ces managers doivent « viser les départements qui agiront à partir des social datas. »
Une fois que la social media intelligence a prouver sa capacité à mieux renseigner les décisions stratégiques, il est beaucoup plus facile de porter le flambeau social media et de défendre des idées pour des insights futurs.
3. Partager
Au delà de prouver la valeur de vos initiatives, il est préférable de maintenir une communication constante avec les partisans du projet. Une fois les premières victoires remportées, et l’instauration d’une certaine confiance auprès des dirigeants, les managers social media doivent développer des stratégies pour répandre des mises à jour sur leur travail en général.
Un élan de visibilité peut être une force, et pour un succès significatif à long terme, il est important d’occuper l’esprit de ces partisans le plus possible.
Le témoignage d’Anthony, leader des Social Analytics pour l’une des plus grandes entreprises technologique de la côte ouest américaine, illustre bien l’importance d’occuper les esprits. Lors de notre rencontre à un événement sur l’intelligence économique à Madrid en 2015, il nous a révélé sa frustration initiale en constatant que les comptes-rendus mensuels envoyés par son équipe aux membres du conseil d’administration étaient souvent non-lus ou qu’aucune action n’était prise en les prenant en compte. Quelque chose devait changer.
Reconnaissant la nécessité d’attirer l’attention de ces personnes très occupées, Anthony fit appel à un designer de l’entreprise pour l’aider à rendre le document visuellement plus attrayant. Moins de mots et plus d’images.
Il prit aussi le temps de préparer des emails contenant l’information condensée pour ceux qui ne prenaient toujours pas la peine d’ouvrir le fichier PDF, en y incluant des recommandations. Anthony s’amuse à rappeler que ses supérieurs n’avaient pas bien réagit à ces points d’abord intitulés « Actions recommandées » et qu’ils avaient l’effet inverse. Il a donc changé le nom pour « Insights clés » ce qui a été beaucoup mieux accueillit.
« Beaucoup d’entreprises guident leur data scientists pour rendre les résultats obtenus plus digestes pour les dirigeants. Le Storytelling par exemple est en train de devenir une partie intégrante du curriculum de formation des analystes. »
SAM RANSBOTHAM, PROFESSEUR ASSOCIÉ DE SYSTÈMES D’INFORMATIONS – BOSTON UNIVERSITY
Malgré des améliorations, il manquait toujours quelque chose. Anthony entreprit alors de discuter avec certaines personnes impliquées dans le projet et quelques uns de ses collègues, proches des dirigeants pour mieux comprendre ce qui pourrait manquer. Rapidement, il découvrit que ses comptes-rendus étaient perçus comme peu crédibles par sa hiérarchie : le format reposait sur la foi du lecteur à croire que les données étaient véridiques plutôt que sur des faits réels.
Encore une fois, Anthony réagit rapidement et commença à ajouter des fichiers contenant des données brutes à ses emails et comptes-rendus. Ces pièces jointes comprenaient le verbatim (les commentaires de personnes réelles) obtenu par le biais d’outils de veille des médias sociaux et présentaient les données derrières les graphiques et les calculs contenus dans son compte-rendu.
Le format pouvait sembler un chargé en données, mais il n’eut pas à attendre longtemps pour constater une différence tangible dans la façon dont ses rapports étaient reçus et l’adoption des perspectives clés générées par son équipe.
L’expérience d’Anthony nous montre deux considérations qui semblent souvent s’opposer l’une à l’autre : Les responsables social media doivent savoir trouver un équilibre entre la distribution des résultats dans un format digeste et le maintien de la crédibilité et de la confiance qui résultent en prise de décisions data-driven.
Les social data, initialement pas ou peu structurées peuvent être difficiles à comprendre pour les personnes peu familiarisés. D’après Tracy Bell de Bank of America, « la création d’un langage commun pour toute l’organisation » et « l’éducation des consommateurs de ces données » sont des prérequis précieux pour les responsables social media, avant même qu’ils puissent espérer tirer des informations à même d’éclairer les décisions stratégiques.
Troy Pfeffer de Cintas le montre clairement en insistant sur la formule, « What’s in it for me ? » (Qu’est-ce que ça me rapporte ?).
C’est une question qu’il répète à toutes les personnes responsables de partager des résultats avec d’autres, et que son équipe a abrégée en « WIIFM ». Toujours mettre en avant le facteur « WIIFM » pour le destinataire de tous les résultats peut fondamentalement changer la façon dont les informations sont partagées.
La création de tels comptes-rendus avec des données qui seront importantes (ou non) pour le destinataire, est un moyen incroyablement efficace de s’assurer que votre travail ne passe pas inaperçu.
Il se peut que cette formule résume les nombreuses techniques dont on parle dans ce secteur. Le facteur WIIFM est un rappel utile à garder en tête pour rendre votre programme plus crédible dans toutes les activités que vous entreprenez.