Les spécialistes du marketing, des recherches et des analyses au sein des plus grandes agences et marques ont souvent un problème d’identité. Les néologismes d’hier font maintenant partie du jargon, et les équipes spécialisées dans les médias sociaux, le numérique et l’interactif éprouvent toujours des difficultés à trouver le langage approprié pour décrire ce qu’elles font.
Mais les préoccupations des professionnels travaillant avec la social data va au delà de la nomenclature.
Déterminer le profil des candidats à intégrer dans les équipes d’analyse de la social data reste un défi important pour les employeurs ; et il n’existe pas de réponse claire quant à la meilleure façon d’élaborer la structure de cette équipe.
La plupart du temps, l’objectif plus général est de recadrer l’entreprise pour qu’elle soit réellement axée sur la social data dans le but d’intégrer les médias sociaux dans ses opérations et son processus de décisions à tous les niveaux ; l’objectif final étant d’en tirer le maximum profit sous différentes formes.
Le modèle proposé dans l’Altimeter de Jeremiah Owyang est peut-être le schéma le plus connu de structure d’entreprise centrée sur les médias sociaux.
Owyang décrit cinq structures distinctes dans les grandes sociétés : Organique, centralisée, coordonnée, en « pissenlit » et alvéolaire. Ce modèle repose sur la logique que les entreprises se déplacent de gauche à droite au fur et à mesure que leur utilisation de la social data se perfectionne.
En résumé, les différentes étapes peuvent être décrites comme suit :
- Organique– Les efforts en matière de médias sociaux reposent sur quelques individus ou petits groupes, souvent de façon incohérente.
- Centralisée– Toutes les activités social media sont contrôlées par un département qui détient très peu d’autonomie.
- Coordonnée– Une équipe polyvalente est au centre des activités social media. Elle participe au succès de différents nodules en offrant formations, informations et assistance.
- Pissenlit– « Des entreprises au sein d’entreprises » agissent de manière quasi-autonome sous une marque commune.
- Alvéolaire– Toutes les divisions et les employés d’une entreprise sont sensibilisés et formés aux médias sociaux, et ont la capacité de tirer profit des médias sociaux.
Des analyses régulières sont menées pour cartographier les phases de maturité auxquelles les entreprises américaines se situent, et un changement qui s’opère progressivement sur le marché. Il sera extrêmement difficile pour les entreprises de parvenir au stade d’autonomie social media globale définit par Owyang, mais le principe d’intégrer les médias sociaux à autant de services et avec autant d’applications que possible résonne déjà fortement dans le secteur.
Comme c’est le cas pour tous les modèles, la réalité est beaucoup moins précise que la théorie.
Les entreprises démarrent-elles réellement leur digitalisation avec quelques experts avant de graduellement progresser vers un pôle d’excellence ? Et comment ces équipes sont-elles structurées dans la réalité ?
Les structures
L’une des marques américaines ayant adopté l’approche du pôle d’excellence est un fabricant d’articles ménagers américain. Cette entreprise a une structure similaire à la phase coordonnée décrite par Owyang, la structure la plus commune au sein des entreprises américaines.
Cette entreprise dispose d’une équipe digitale centrale appelée « Digital Strategy and Innovation ». Cette équipe travaille avec la social data au même titre que d’autres sources de données.
Les résultats combinés de ces ensembles de données sont ensuite adaptés et distribués à travers les différentes divisions de l’entreprise. Les services requis par chacun de ces départements varient puisque la logistique, les objectifs et les tactiques marketing diffèrent radicalement d’un département à l’autre. L’équipe centrale peut directement répondre aux besoins ou faciliter les systèmes et le reporting requis par chaque division.
Une autre entreprise dont le modèle structurel correspond à la phase Coordonnée, est l’un des leaders de l’assurance aux Etats-Unis. Comme c’est le cas avec la plupart des grands groupes, la firme n’a pas souhaité dévoiler son nom publiquement, mais une vue globale de leur structure dévoile une perspective légèrement différente du fabricant.
Cette entreprise emploie une approche similaire à celle des pôles d’excellence avec son équipe « Central Data Task Force ».Cependant, au lieu de couvrir les besoins de différentes divisions, cette équipe est structurée pour livrer des informations fonctionnelles aux équipes. Par exemple, l’équipe marketing reçoit des rapports et des programmes variés conçus pour l’aider à mesurer le ROI de ses activités
Les équipes de relation publique et de sécurité sont plutôt centrées sur la gestion de crise et utilisent les mêmes données dans un but différent. La centralisation de l’influence sur l’utilisation des données tirées des médias sociaux contribue à l’alignement des standards à travers toute l’entreprise. L’expertise ainsi acquise a tendance à se transmettre à d’autres équipes de manière délibérée ou organique.
C’est un moyen astucieux de stimuler la transformation numérique à travers toute l’entreprise qui limite l’acquisition des innovations et des connaissances à une équipe restreinte plutôt que de déployer un programme de grande échelle à de nombreux employés.
Ce type d’organisation est couramment utilisé par les entreprises et peut s’observer au sein de la multinationale Unilever qui a mis en place une équipe « People Data Center ». D’autres exemples incluent le « Digital Operations Center » de la Croix Rouge, ou l’équipe centrale de la banque allemande Sparkasse appelée « Sparkassen-Finanzportal ».
Essayer d’avoir une vue d’ensemble de la structure des équipes permettant la digitalisation des plus grandes marques est difficile en raison de la grande variété des modèles commerciaux et des cultures d’entreprise.
Cependant, il apparaît clairement qu’un grand nombre de marques, plus de la moitié pour être exact, dirigent leurs opérations liés à la social data depuis un point centralisé tout en encourageant l’autonomie de chaque service.
Ainsi, elles donnent les moyens à une équipe de donner à chaque fonction, division ou même zone géographique, la possibilité d’adapter et de tirer avantages des médias sociaux de la manière la plus pertinente pour elle.
Les personnes
Structurer votre organisation pour effectuer sa transformation numérique est une chose, mais cela ne sert à rien sans les bonnes personnes. La sélection du personnel en charge d’accélérer vos projets de digitalisation est cruciale.
Des recherches de Gartner suggèrent que sept à huit analystes devraient être recrutés par milliards de dollars de chiffre d’affaires, et typiquement, deux d’entre eux travailleront avec la social data. Ainsi, pour la plupart des entreprises du Fortune 1000, cela signifie un effectif significatif dédié à la social media analytics.
La même étude a aussi révélé que la moitié des entreprises développent également cet aspect de leurs opérations, dont la plupart d’entre elles choisissent l’approche du pôle d’excellence.
Naturellement, la plupart des pôles d’excellence (ou des alternatives équivalentes dans d’autres structures) viseront à recruter des individus dotés d’un esprit analytique. Cependant ce n’est pas aussi simple que de trouver des data scientist avec une expérience quantitative significative.
De nombreuses organisations accordent maintenant plus d’importance au charisme. Les meilleurs analystes sont ceux qui sauront marquer les esprits et, alors que l’éducation et l’amélioration des compétences prennent une place de plus en plus importante, les entreprises engagent des individus qui savent convaincre et persuader tout aussi bien qu’ils savent utiliser une feuille de calcul.
De nombreuses entreprises fournissent des direction à leurs data scientists pour rendre les résultats plus digestes pour les managers : la narration par exemple est en passe de devenir une constante du curriculum de formation des analystes. Parallèlement, les scientifiques utilisent des techniques de plus en plus complexes et sophistiquées. Par conséquent les efforts employés pour rendre les résultats plus faciles à utiliser ne peuvent pas suivre le rythme de la complexité croissante des analytiques.
DR SAM RANSBOTHAM – ÉDITEUR DATA ET ANALYTICS, MIT SLOAN MANAGEMENT REVIEW
Bâtir une équipe composée d’individus passionnément curieux qui agissent vous aidera à découvrir des résultats auxquels vous ne vous attendiez peut-être pas et à mettre davantage l’accent sur les actions découlant des insights.
Oui, les candidats spécialisés en analytique et en data science sont formidables. Oui, le sens du détail est un facteur essentiel. Oui, ils sont généralement gouvernés par et issus de cursus universitaires favorisant l’hémisphère gauche du cerveau. Mais tout ça ne vous donnera jamais la volonté redoutable de résoudre une énigme. Trouvez ceux qui ont cette volonté.
WILL MCINNES – CMO, BRANDWATCH
Andy Frawley est le CEO d’Epsilon, une entreprise de plus de 5000 employés qui se définit comme une « entreprise internationale de marketing ». Il est convaincu que la répartition efficace des connaissances tirées des données à travers toute l’entreprise est au moins aussi importante que les compétences impliquées pour les extraire.
Cela signifie qu’il est beaucoup plus enclin à embaucher des personnes dont l’expérience est moins technique pour travailler aux côtés d’individus dotés de compétences de data science plus traditionnelles, d’autant plus que la technologie d’analyse devient de plus en plus facile à utiliser.
On peut accomplir beaucoup plus avec la visualisation des données. Même les outils permettant une approche prédictive peuvent être utilisés par quelqu’un de moins technique. C’est lorsqu’il s’agit de machine Learning ou de domaines similaires qu’il nous faut des gens avec des diplômes plus avancés.
ANDY FRAWLEY – CEO, EPSILON
Le fait que beaucoup de ces analyses doivent se faire en temps réel, particulièrement pour la social data, est une autre dynamique à considérer, car elle crée un besoin d’insights générés par la technologie plutôt que par l’analyse humaine.
Autrefois, on aurait dit “je veux construire un modèle capable de prédire qui va souscrire un emprunt immobilier“, et nous aurions passé six semaines à construire le modèle et six semaines supplémentaires à le déployer. Aujourd’hui, tout ça doit être fait en temps réel parce que c’est la vitesse à laquelle vont les consommateurs. Cela impose un rythme complètement différent d’un point de vue marketing.
DR JERRY KANE – PROFESSEUR ASSOCIÉ DE SYSTÈMES D’INFORMATIONS, BOSTON COLLEGE
Il existe des visions conflictuelles au sujet du meilleur réservoir démographique dans lequel puiser pour obtenir cette équipe scientifiques/marketing idéale capable de diriger vos activités de digitalisation.
Alors que les plus grandes entreprises ont tendance à se focaliser sur les experts adeptes de la data issus de la génération Y, et que les start-ups se concentrent plutôt sur les milléniaux digital-native, Mike Volpe offre peut-être un point de vue plus équilibré.
Trouvez des individus capables de parler le langage numérique sans accent. Qu’ils soient natifs du numérique ou « immigrés », cela n’a pas d’importance, à partir du moment où ils sont citoyens du numérique.
MIKE VOLPE – INVESTISSEUR PRIVÉ ET Ex-CMO, HUBSPOT
Parvenir à cet équilibre permettra, dans les bonnes conditions, d’accorder à la social data le respect et la fluidité qu’elle mérite tout en maintenant la minutie des connaissances qu’elles fournissent.
Les employés dont l’expérience data n’est pas dans le domaine social media, questionneront la validité des résultats les plus fallacieux et aideront à faire savoir à toute l’équipe que les données ne sont pas parfaites.
Les employés plus jeunes et digital native apporteront une culture agile et un sens du consommateur essentiels pour rester pertinent et qui, associés à leur compréhension inhérente du paysage numérique, permettront d’ajouter un contexte, de la profondeur et de la valeur aux résultats de l’équipe.
Il est évident que la plupart des équipes seront constituées d’un mélange d’expériences, de compétences et d’expertises diverses. Trouver ces individus peut être un défi. Cependant, en raison de la jeunesse relative des divisions de social media analytics, il est judicieux de chercher parmi les jeunes diplômés ou les professionnels en début de carrière (voire de détourner ceux qui se destinaient à des carrières en data-science plus complexes) pour les former à des rôles qui répondent aux besoins actuels d’une équipe de social media analytics.
Nous avons beaucoup de difficultés à trouver les personnes adéquates pour tenir le rôle de data scientist. Nous avons donc décidé de les former nous-mêmes. Nous recrutons beaucoup auprès des universités. Pas exclusivement, mais nous avons une expérience très positive avec les jeunes gens que nous avons recrutés dès la fin de leurs études. Nous avons travaillé avec 150 jeunes cette année, et une carrière de data scientist l’une de celles vers lesquelles nous les orientons dès le départ s’ils ont la bonne attitude.
ANDY FRAWLEY – PDG, EPSILON
Il n’existe donc pas de méthode unique permettant d’élaborer la structure et de construire une « super » opération de transformation digitale.
Les exigences varient selon la culture d’entreprise de chaque organisation, ses objectifs, et bien entendu, les ambitions et l’attitude de son équipe dirigeante.
Malgré cela, on voit apparaître certaines bonnes pratiques dans l’approche des entreprises qui ont le plus de succès. Et comme de plus en plus d’entreprises expérimentent avec de nouvelles méthodes nous pouvons nous attendre à voir des changements continus dans les quelques années à suivre.