Dans le cadre de notre dossier special Fake News, nous avons eu le plaisir de revenir sur les recherches entreprises par le Dr Delia Dumitrescu et Andrew Ross sur les médias sociaux et la presse afin de lever le voile sur la désinformation à l’œuvre dans ces deux domaines.

Le Dr Delia Dumitrescu est maître de conférences en médias, culture et politique à l’université d’East Anglia ; elle a consacré une grande partie de sa carrière universitaire à étudier la réaction des gens à différents types de communication.

« Je travaille sur une grande variété de sujets, qui concernent surtout la psychologie et la communication, et sur l’impact de l’exposition à la communication sur les comportements et attitudes ainsi que les mécanismes derrière ces comportements et attitudes », explique-t-elle. Delia Dumitrescu s’intéresse tout particulièrement à la communication visuelle.

Andrew Ross a quant à lui commencé une carrière universitaire en psychologie appliquée avant de s’orienter vers la politique et la communication politique, où il a rencontré le Dr Dumitrescu. .

Ross est désormais chercheur à l’université de Loughborough, au sein du Online Civic Culture Center (O3C), et officie dans une équipe pluridisciplinaire qui étudie l’impact des médias sociaux sur la culture civique.

Ensemble, Dumitrescu et Ross ont mené de nombreuses recherches, toutes plus fascinantes les unes que les autres. Bien que nous ne puissions pas tout couvrir ici, nous allons passer en revue certaines de leurs conclusions concernant l’opinion publique sur les médias sociaux et écouter leurs réflexions sur les fake news.

L’évolution de l’opinion publique

Le fait de questionner des quidams est un moyen pour les journalistes de faire connaître la voix du public à leur lectorat. Traditionnellement, cela impliquait de discuter avec des personnes choisies au hasard dans la rue pour évaluer leurs sentiments, et reporter le tout dans un article.

Mais au vu du bouillonnement journalistique actuel, les reporters n’ont pas toujours le temps de sortir et de recueillir l’opinion de « monsieur Tout-le-Monde ». Ils préfèrent désormais se tourner vers les médias sociaux.

« Vous n’avez même plus à quitter votre siège pour connaître l’opinion de la rue », explique Ross. « Et, évidemment, c’est une solution très intéressante pour un journaliste pressé qui a de plus en plus de contenu à écrire et de moins en moins de temps pour ce faire ».

Les perceptions de l’opinion publique

S’inspirant de précédentes recherches, Dumitrescu et Ross ont co-écrit une étude sur l’impact des opinions publiques issues des médias sociaux en ligne sur la perception du lectorat.

Par exemple, le fait d’inclure un plus grand nombre de posts favorables à une question affecte-t-il la façon dont les lecteurs perçoivent l’opinion générale ?

« Notre recherche suggère que le ratio des opinions – si vous avez plus d’opinions favorables que d’opinions défavorables dans un article – peut influencer de manière significative la façon dont les lecteurs perçoivent les vues du public sur cette question », déclare M. Ross.

« La simple collecte de tweets influence en fait la perception de l’opinion », explique le Dr Dumitrescu. « Vous pouvez donner une indication sur l’orientation générale du public. Vous pouvez indiquer que l’opinion publique est divisée – mettons que vous avez un nombre égal de tweets de chaque côté – ce qui pourrait ne pas être le cas en réalité. Cette indication de la direction que prend l’opinion publique ne serait alors pas basée sur la réalité ».

Vous pouvez consulter l’étude intégrale ici.

Les implications

Ainsi, les opinions utilisées par les journalistes dans leurs articles en ligne peuvent influencer la façon dont nous, lecteurs, percevons le grand public et sa position sur certaines questions. Qu’est-ce que cela implique ?

Les implications, comme l’expliquent les chercheurs, sont en fait relativement effrayantes.

« Cela peut impacter de manière concrète des aspects importants de la vie démocratique », déclare M. Ross. « Parce que nous savons que la perception de l’opinion publique peut influencer le choix d’un parti lors des élections, du candidat pour lequel voter ».

La surreprésentation de posts sociaux positifs au sujet d’un homme politique, par exemple, peut donner l’impression que le public lui est généralement favorable.

En outre, et c’est là que réside le véritable enjeu de la Fake News Week, les posts sociaux cités dans les informations en ligne ne sont pas nécessairement écrits par de vraies personnes.

Par exemple, des récits de « trolls » financés par certains États ont été cités par ce que l’on considère généralement comme des sources d’information fiables.

« Certains d’entre eux [les comptes de trolls] sont devenus des spécialistes de l’écriture de posts très accrocheurs qui correspondent parfaitement à un scénario précis. Nous avons ainsi constaté que beaucoup d’agences de presse avaient inclus ces messages comme de véritables opinions dans leurs articles », dit Ross.

Pourquoi les fake news sont-elles si difficiles à réfuter ?

Ce qui rend la désinformation si dangereuse, c’est en partie la facilité avec laquelle elle se répand et la difficulté à la corriger. J’ai demandé à Delia Dumitrescu ce qu’elle pensait de la réaction des marques lorsque de fausses nouvelles les concernant font leur nid dans l’opinion.

Lorsqu’un concept devient familier, dit-elle, il est très difficile pour les marques de s’en débarrasser, même s’il est totalement faux.

« Une information particulière, même si elle est fausse, peut devenir familière. Si elle est familière, elle s’inscrit dans la fluidité de la pensée. Elle devient alors intuitive et facile à récupérer. Or les informations facilement récupérables sont davantage valorisées. Je suppose que c’est l’une des raisons qui fait que lorsqu’une marque est associée à quelque chose de négatif, et qu’elle s’y attaque en disant “ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai”, elle n’arrange pas vraiment son cas, car cette association devient encore plus familière dans l’esprit des gens. Ensuite, il devient tout simplement très difficile de séparer l’une de l’autre. La familiarité est un signal. Le cerveau considère ce signal comme ayant de la valeur ». – Dr Delia Dumitrescu

Les fake news en 2020

Notre conversation porte à présent sur l’actualité immédiate et le futur proche : la pandémie de Covid-19 a, par exemple, déclenché une vague d’histoires intrigantes autour de la cause du virus et de ses remèdes potentiels.

Chacun d’entre nous a mentionné des histoires qu’il avait entendues « quelque part » et qui établissaient de fausses corrélations ou contredisaient les conseils officiels. J’ai demandé au Dr Dumitrescu et à Ross ce qu’ils pensaient de la situation actuelle et de l’avenir, par exemple au sujet du mouvement anti-vaccination.

« Je m’intéresse à la raison pour laquelle les gens réagissent comme ils le font, or cela a beaucoup à voir avec l’idée de raisonnement motivé. En gros, cela concerne tous ceux qui veulent arriver à certaines conclusions d’emblée et essaient d’inclure de nouvelles informations dans un schéma qu’ils ont déjà en place. En essayant de l’adapter autant que possible », explique le Dr Dumitrescu. « Lorsque l’on pense aux gens qui sont déjà anti-vaccins : que feront-ils quand il y en aura un contre le coronavirus ? Ma prédiction est qu’ils ne s’y soumettront probablement pas ».

Les conditions permettant la diffusion de fake news sont toujours en place. Comment pouvons-nous nous y attaquer à l’avenir ?

« Il est difficile de lutter contre la désinformation. L’une des principales solutions proposées consiste à développer l’éducation aux médias – comme quoi nous devrions nous adresser à des sources journalistiques fiables. C’est un très bon conseil mais, comme nous l’avons vu dans le cadre de nos recherches, même des sources fiables peuvent se révéler la proie de trolls. Beaucoup de journalistes se sont fait avoir par ces trolls et les ont inclus comme de véritables opinions publiques – et ces journalistes travaillent pour des médias vraiment fiables. C’est une menace sérieuse et en constante évolution. » – Andrew Ross

Bien que nous ne soyons pas tout à fait parvenus à une véritable conclusion dans notre discussion sur la désinformation, les médias et les médias sociaux, j’ai beaucoup apprécié cet entretien avec Andrew et Delia, et j’ai hâte de découvrir leurs prochains projets de recherche.

Nous tenons à remercier tout particulièrement le Dr Delia Dumitrescu et Andrew Ross d’avoir pris le temps de partager leur expertise.